Avis de Gocchisama :
Le 24 juin a été relayé sur le très populaire site d'opinion Slate.fr un article sur la culture pop japonaise, plus précisément le phénomène AKB48. Il est d'autant plus familier puisqu'est intervenu pour le contenu de l'article nul autre que Bloud, créateur de AKBgirls48 et Misaki, créateur de Podcast48, deux figures connues du fandom français. Que pouvais t'on attendre de cet article? Une description fidèle de ce que les fans ressentent vraiment? Une analyse approfondie de la culture japonaise pour comprendre de manière objective d'où vient la popularité du groupe? Nous verrons que malheureusement, l'article est teinté d'une certaine tromperie d'intention, et est un énième tentative de présenter la culture japonaise comme une anomalie dans une société saine et bien pensante.
Retrouvez l'avis de Bloud sur cette article plus bas sur cette même page.
Quelque part entre la «Star Academy», la tombola et les yakuzas, le Japon a inventé un concept qui bouscule les règles de l’industrie du divertissement.
On peut d'ores et déjà pressentir le ton de l'article qui mentionne les yakuzas en première ligne de texte. Un sous entendu que l'activité est proche de l'illégalité. Il y a bien eu pourtant une volonté de chercher l'information exacte. Ici, le journaliste a fait l'effort de chercher qui était Yasushi Akimoto, ou d'où provenait le nombre 48. Il faut comprendre que bien que les informations ont été recherchées, le but de l'article relève plus du "story telling" que de l'information brut. On veut amener à une certaine idée du concept idol par un schéma narratif bien ficelé. Il est donc pas surprenant que le scandale spectaculaire de Minegishi Minami (on a d'ailleurs omis le contexte comme quoi Micchan a choisi d'elle-même de se raser la tête) a été mis en avant très tôt dans l'article, créeant un impact sur le lecteur.
Cela va beaucoup plus loin. Pour les fans aguerris comme nous, l'histoire de Kotaro Shiba comme ex-membre Yakuza et aillant eu des activités liées à la pédopornographie scelle definitivement l'idée que peuvent avoir des occidentaux sur le concept d'idol. Que cette information soit vérifiée ou pas, le mal était fait, car c'est le lien entre les différents paragraphes qui solidifit artificiellement la pertinence de l'article. Parce que ça a l'air cohérent, la sauce prend. Un fan du 48group, @Tokonoma27, décortique le procédé journalistique derrière l'article :
"En général, quand on est spécialiste d'un domaine, on est déçu de ce que les journalistes généralistes écrivent dessus. C'est un peu la loi du genre, ce qui ne veut pas dire que tu l'acceptes mieux. Parler des idols sans s'intéresser un minimum à la société japonaise implique presque obligatoirement des projections plus ou moins fantasmées, des raccourcis, des approximations et au pire des contrevérités. Le pire pour moi concerne l'adjectif utilisé pour quantifier le nombre d'ex-akb reconverti dans le porno. Je ne suis même pas sûr que cela soit de la malhonnêteté intellectuelle (sauf si les informateurs éclairés qui ont été sollicités pour cet article l'ont dit explicitement à l'auteure), c'est peut-être davantage le résultat d'une paresse intellectuelle doublée d'un fantasme liée à une méconnaissance totale de ce qu'est le Japon.
On a le droit de critiquer le "système" des idols, encore faut-il le faire en utilisant de vrais arguments. On sent poindre le "c'est un truc pour exciter les vieux libidineux", "c'est de l'esclavage pseudo-sexuel de mineures", voire "c'est bien un truc de Japonais" avec une légère dose de racisme sous-jacent. Ce n'était pas la peine de solliciter l'équipe de Podcast48 et celle d' AKBgirls48 pour écrire la même chose que ceux qui ne les sollicitent pas. C'est dommage, la démarche semblait constructive au départ avec une réelle volonté de comprendre, et ça finit en eau de boudin par des généralités dignes d'un journalisme de piètre qualité... Encore un rendez-vous manqué avec la presse non spécialisée. À croire que la communication est impossible entre les passionnés et les médiateurs que devraient être les journalistes. Mais au fond c'est tellement fréquent (c'est moi maintenant qui généralise... tsss tsss). Pour nuancer un peu, le phénomène des idols et son succès au Japon sont véritablement difficiles à expliquer en si peu de pages et impliqueraient un tel investissement de la part d'un journaliste non spécialisé.."
Il ne s'agit pas pour nous, fans, de nier une partie des faits (oui, le love ban rule existe au japon et oui, Micchan s'est bien rasé à la tête) mais il est de notre responsabilité d'accepter le concept d'idol dans toute sa complexité; c'est à dire le bon autant que le mauvais, l'historique qui a amené à ce résultat. Pour comprendre les idols, c'est tout d'abord comprendre la culture japonaise. Et bien sûr, si on plaque les standards français directement sur le concept des idols, on est facilement assimilé en une anomalie. A quoi peut ressembler une "mise en contexte"? Une journaliste, Minori Takahata, répond à la question :
"Le problème est que la société japonaise cultive l'idée pour la jeune fille qu'exploiter au maximum ses charmes féminins et gagner l'admiration des hommes est une forme d'accomplissement."
Avant d'ajouter que :
"Ces fans n'essayent même plus de tenir la main de femmes ordinaires. Ils pensent qu'ils doivent être aimés et acceptés sans aucun effort. Au lieu de se connecter avec des femmes de son entourage, ces hommes choissisent une idée de la femme; celle qu'ils peuvent dominer, qui leur garantissent de ne pas les vexer ou les blesser. Cette societé ne s'arrêtera devant rien pour proteger la fantaisie des hommes, et un certain confort".
En effet, si vous couplez les difficultés à fonder une famille d'un point de vue financier et moral (vous sacrifiez votre vie pour vos enfants), et la volonté des jeunes japonais à profiter de la vie après avoir été broyé par un système éducatif ultra compétitif, il est alors compréhensible qu'une partie des fans japonais assimilent la relation fan/idol comme un bon compromis par rapport à une vrai relation de couple. Un effet de société beaucoup moins répandu en France dû à un système éducatif beaucoup plus souple (université accessible et presque gratuite). Encore une fois @Tokonoma27 donne le ton juste pour expliquer là ou est l'erreur de l'article :
"L'Occident n'est pas la norme, c'est un système de pensée riche, complexe et plein de contradictions, comme l'est le système japonais. Une véritable confrontation de ces deux système, sans idée de compétition, serait intéressante mais cela n'est pas le propos de notre journaliste qui n'est que de conforter les fantasmes supposés des lecteurs. On est dans la continuité au succès des images diffusées en masse fin 19e-début 20e sur les supplices chinois. Volonté de créer une distance entre "eux" et "nous", "eux" qui sont bizarres, vicieux, sadiques, et "nous" qui avons apporté la lumière du progrès au monde. Je vais peut-être un peu loin mais c'est je crois de l'ordre de ce registre. Par rapport à ce que j'écris, un article de 3 pages sur des idols, c'est complètement anecdotique mais tellement révélateur d'un occidentalo-centrisme qui me navre de plus en plus..."
Nous sommes tous imprégnés de l'idée que nos valeurs sont meilleures, nos idées plus "normales", c'est un apprentissage qui est quasi-naturel mais il faut savoir lutter contre et tenter autant que faire se peut de se corriger de notre suffisance (et je parle aussi de moi là...). Eviter les jugements rapides, les réflexions superficielles. Comprendre n'est pas justifier mais permet je crois une meilleure communication entre tous"
Pour ne pas sembler biaisé, prenez un autre exemple : Le succès de Gangnam style, par PSY. Un MV drôle, décalé avec un beat addictif. Mais pourquoi lui à marché, alors que beaucoup d'autre artiste asiatique, misant sur les mêmes standards occidentaux (grosse capacité vocale, danse sexy, belle voiture) se sont presque tous cassé la figure? Est-ce que le fait qu'ils s'autorisaient à aimer un artiste étranger, tant que celui ci à de l'embonpoint et drôle? C'est à méditer.
En conclusion, avec une remarque personnelle (puisque écrivant pour AKBgirls48 et faisant partie du podcast pendant plus d'un an, je suis directement concerné) je suis très triste de la malhonnêteté qui a été exposé au grand jour avec cette article. Car l'approche de Misaki par le journaliste a été très amicale, et les questions ne laissait aucunement présager le ton unilatéral de l'article.
De même pour Bloud, qui a passé près d'une heure d'interview, et qui j'en suis sûr à défendu notre cause mais tout ceci est passé à la trappe. Pour donner de l'intégrité à l'article, aurait t'il fallu mentionner que le 48group a été un des rares avec Morning Musume a être sorti de la niche qu'est le genre idol, pour obtenir le statut d'idol connu nationalement (et donc dépassant les seuls fans obsessifs, atteignant aussi les femmes et les plus jeunes), ou les nombreuses initiatives après le désastre du Tohoku pour soutenir les populations sinistrées.
Si vous voulez approfondir sur la question, n'hesitez pas d'écouter le podcast #81 à ce sujet ou le résumé plus complet sur le sexisme de la culture idol.
Une bonne piste serait, au lieu de ressortir la même soupe sur le lien idol/asexualité des hommes japonais qui conforte l'hégémonie de la culture occidentale, de travailler sur des contrepoids commes les figures de femmes fortes dans la Jpop? (Namie Amuro, Utada Hikaru, etc).
-Gocchisama
Avis de Bloud :
Je ne vais pas m'étaler sur le sujet mais pour résumer en un mot : déception.
Le journaliste qui m'a approché pour réaliser cet article ne semblait en aucun cas avoir une telle opinion négatif sur les groupes AKB48. Il était très avenant et prenait le temps d'écouter mes longues réponses à chacune de ses questions. D'ailleurs ces dernières pendant l'heure d'interview m'ont semblé un peu trop factuelles (wikipédia aurait dit la même chose que moi), il n'y avait pas assez de question de fond sur pourquoi j'aimais ça au final.
L'entretien finie, je lui avais envoyé un bon gros pavé lui expliquant, justement, cette partie que nous n'avons pas pu évoquer. Si vous voulez la lire, je l'avais tweeté. Et ça, il n'en a n'a aucunement parlé (trop positif peut-être ?). Tout ce qu'il a retenu de moi c'est quand j'ai dit que les handshake event, la première fois, faisait effet "usine" à cause de l'immensité de l'endroit, ce qui est normal avec plus de 300 filles. Faut bien les mettre quelque part !
Pour autant, je pensais que peut-être allions-nous avoir un véritable article de journaliste, ni bien ni mal, mais qui expliquerait simplement le phénomène. Bien sûr, j'étais naïf et je le regrette. Après lu l'article final, je me suis demandé mais, pourquoi nous avoir dérangé, moi et Misaki de Podcast48 ? Il n'en retient rien du tout si ce n'est que quelques mots et cela n'a rien changé à l'avis négatif et aux calomnies émanant de ce papier.
En bref, ce fut un gâchis de temps et d'energie avec une forte déception à la clé.
Le plus dur pour moi n'est pas que du mal soit dit des AKB48 mais c'est le fait de voir mon prénom avec mon site faire partie de cette article, comme si on approuvait tout ce qui s'y raconte..
Croyez-moi que je ne renouvellerai pas l'expérience.
-Bloud